Mots et images par: Tyler Tomasello
Généreusement fourni par: Like the Wind magazine

Alors que je fixais à travers la lentille de ma caméra, ajustant le focus, de petits morceaux de plastique me sifflaient aux oreilles. « Merde! », ai-je marmonné. Un homme, dans une voiturette en plastique Hello Kitty clairement faite pour un enfant, et sur le point de se désintégrer, passe en trombe, voir en volant, et à peine en contrôle, sur une pente envahie d’herbages descendant tout droit vers le camp principal. Sillonnant les longues herbes jaunies, à quelques secondes du désastre, le compétiteur vétéran Tyler Clemens complète avec succès son… douteux retour au camp, pour être accueilli par une foule de coureurs et de spectateurs en extase.

Vendredi, le weekend commençait à peine. Les aventures de toutes sortes commençaient à peine. L’élite surentrainée en compétition sur l’évènement de 4 jours s’était lancée sur les sentiers depuis déjà 24h, et la plupart des spectateurs se préparaient pour leur propre course. De 10 miles à 4 jours, tous étaient ici pour courir. Tous, sauf ceux qui s’étaient inscrits à l’évènement de 0.0k : une « course » qui requérait aux coureurs de se procurer une PBR (une bière américaine légendaire, au cas où vous vous demandiez), de se rouler sous une scène rudimentaire, de s’échauffer en faisant la dance des canards, pour terminer sur un départ en « shotgun » sur la ligne pour se rendre littéralement nulle part, sauf pour retourner à leur campement pour changer leurs vêtements trempés de bière.

Des jeux spontanés avaient lieu à longueur de journée un peu partout sur le campement, formant une sorte de succession éclectique d’évènements suffisant pour satisfaire toute personne assez brave pour assister au festival Born to Run, qui se tient sur une ferme bovine en activité, à Los Olivos en Californie. De la musique de mariachis animait la scène, alors que deux hommes, les yeux bandés et assis dans des chaises roulantes, armés de journaux enroulés et emballés dans du ruban adhésif frappaient dans le vide dans l’espoir d’éclater des ballons collés sur leur adversaire. Le directeur, Luis Escobar, un vétéran de l’ultratrail de 29 ans qui trimballait son fusil à pompe, ajoutait de la couleur à l’évènement spontané par ses commentaires. Ronde après ronde, les adversaires se tapaient dessus avec leurs « armes » improvisées. Le genre d’idioties qui attiraient les clameurs de la foule. Mais elles n’étaient pas tant pour les gladiateurs  que pour les impressionnant coureurs qui faisaient tranquillement leur chemin vers l’accomplissement, leur rêve, de cette épreuve sur plusieurs jours.

Les heures s’écoulaient comme des minutes, et avant qu’on ne s’en rende compte, l’après-midi s’achevait. Le soleil se cachait tranquillement derrière l’horizon, laissant une lueur dorée baigner le campement; les ombres s’allongeaient alors que les gens se regroupaient sur la ligne de départ. Ça ne pouvait signifier qu’une chose; c’était le moment pour les « Quiet Reflections avec Patrick Sweeney », un évènement annuel aussi connu sous le nom de « Varsity Beverage mile ». Cet évènement communautaire, initié et soutenu par Patrick tout au long des années hors de l’organisation de Born to Run, s’ajoute comme une sorte d’échauffement aux courses.

Tout sourires, un nombre incalculable de coureurs costumés s’alignent sur le départ, trimballant leurs quatre boissons gazeuses (dont certaines étaient alcoolisées), pour prendre part à l’inépuisable tradition. Sweeney prend le micro pour donner les directives de l’épreuve. « Prends une boisson. Cours un huitième de mile, puis reviens… Fais ça 4 fois, et ça y est! ». Patrick lève sa main droite et invite tout le monde à faire de même; c’était le moment de prendre le serment du « beverage mile ». Une fois le serment passé, Patrick retourne prendre sa place dans le groupe. Après un décompte entonné à l’unisson, chaque coureur décapsule sa première canette, et ça y est, c’est le départ. Tour après tour, les coureurs callent leurs breuvages, se débattant pour éviter le retour du liquide mousseux. Terminant finalement le trajet, Patrick attend à l’arrivée avec la médaille du coureur; une pelle de plage en plastique, attachée par du ruban à ballon.

Des centaines de canettes sont ensuite ramassées pour préparer le départ en soirée du 100 miles. Esquivant les trainards du « beverage mile », les coureurs du 100 miles s’alignaient et se préparaient pour une longue nuit sur les sentiers. Comme sur toutes les autres courses, Luis apparait avec son inséparable fusil à pompe, et donne le départ d’un coup de feu en l’air.

Les courses de 60, 30 et 10 miles n’avaient pas encore commencé. Des groupes de musique ont enivré l’atmosphère toute la nuit. Le chanteur mariachi Josue Hernandez a animé la foule bruyante jusqu’à ce que les derniers fêtards décident d’aller se reposer en prévision des épreuves du lendemain matin. La pesanteur du silence régnait alors sur le campement, au crépuscule d’une autre journée.

BOOM! BOOM! BOOM! Le vacarme explosif du fusil à pompe déchirait le silence et la noirceur du petit matin, accompagné des mariachis qui envahissaient les hautparleurs, couvrant presque les cris et échos des retentissants appels; « ALLEZ DEBOUT, DEBOUT, IL EST TEMPS DE COURIIIIIIIR! ».

Les coureurs trébuchaient et déambulaient hors de leurs abris, en frottant le sommeil hors de leurs yeux, exorcisant les célébrations de la veille. Alors qu’ils se regroupaient autour de la scène, l’énergie de la foule était contagieuse; accolades, sourires, danses et chants.

Après un briefing de course par Luis, il était temps de prêter serment. Ce serment était l’un des moments clé de Born to Run – il a été conçu par feu Micha True, le directeur de la Copper Canyon Ultra Marathon. À cette fin, Luis appele le légendaire écossais barbu, Graham Kelly, pour en réciter l’incantation. Bien que certains n’arrivent pas vraiment à saisir le fort accent de l’écossais, tous l’ont apprécié. « Si je me blesse » crie-t-il, suivi de l’écho de la foule. « que je me perde, ou meure… c’est de ma foutu faute! ». Comme une armée en l’attente de la bataille, la foule retentie alors d’applaudissements.

Luis attrape son fidèle fusil, et commence à rassembler la foule sur la ligne de départ. C’est le décompte de trois, puis le coup de feu. Les oreilles sonnantes, les coureurs passent en trombe le fil de départ, vers une pente poussiéreuse, le long de sentiers parsemés de merde de vache et de longues herbes dansantes. Évitant les vaches et les serpents à sonnettes, montant et descendant les pentes du ranch. Les stations de ravitaillement s’animaient alors à nouveau après une longue nuit, réapprovisionnant un flot ininterrompu de coureurs.

Alors que les coureurs revenaient tranquillement après un premier tour de 10 miles, le camp revenait à la vie. Un peu comme la veille, une succession variée d’activités se préparait. De la « Lego Lava Walk », une course affligeante sur des milliers de briques Lego, jusqu’à une véritable battle royale de Lucha Libre. Mais dès que les jeux se terminent, et que les coureurs commencent à rentrer au compte-goutte, les nuages commencent à se profiler. Le ciel s’assombrit, pour faire place à une averse aux proportions bibliques. Les participants se sont alors éparpillés pour trouver un abri au sec pour se préparer pour le clou du weekend, le « Dirtbag Prom ».

Un peu comme des adolescents de l’école secondaire, tout le monde à Born to Run attendait la soirée du bal avec anticipation. Dans ce cas-ci par contre, c’était l’opportunité rêvée pour porter les accoutrements les plus ridicules pour célébrer la vie, ensemble. Le groupe Metalachi ouvre alors les festivités et fait retentir la foule en chants, couvrant même les musiciens sous une averse interminable. La fête rugissante a continué jusqu’aux petites heures, jusqu’à ce que la pluie cède, et que le silence revienne.

Le matin suivant, alors que le soleil était timide sur les collines du ranch, je me suis promené dans le campement, partageant les accolades avec amis et étrangers, créant des amitiés à chaque recoin. Après tout, c’était un peu comme des retrouvailles familiales – dans un sens, nous étions tous connectés. Tous les 1200 participants, à travers une passion pour la course, des amitiés mutuelles, ou juste notre amour pour la vie. Nous étions tous là pour nous célébrer l’un et l’autre. Dans un monde à l’envers qui semble parfois ne faire aucun sens, il est bon de se rappeler que chaque mois de mai, sur un petit ranch californien, une famille, dont les membres ne pourraient pas être plus différents l’un de l’autre, se rassemble pour une semaine, redresse cet envers, et nous rappelle qu’ensemble tout peut faire sens.

Luis Escobar et sa femme Beverly ont planté une graine, il y a maintenant 8 ans, qui continue de pousser d’année en année. L’évènement laisse un sentiment d’intemporalité, de naturel, mais ils continuent de s’efforcer à l’améliorer d’une année à l’autre pour en faire un refuge accueillant pour tous, pour élargir cette grande famille.

Tyler Tomasello parcourt le monde avec son appareil photo et le cœur plein. Il cherche des moyens de partager les histoires des gens dans des endroits où ils pourraient ne jamais se faire entendre. Il trouve sa propre voix à travers les gens qu’il rencontre, en joignant les cultures et en créant des familles à travers le monde.
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