un défi d’endurance

un défi d’endurance
mots x joey kile
illustrations x evan melnyk
J’ai un penchant pour les événements d’endurance. Il y a quelque chose de spécial qui marque cette souffrance prolongée et le fait qu’on puisse ensuite manger vraiment tout ce qu’on veut, et ça, tout ça, ça me plait vraiment. Par contre, d’affirmer que ces événements, ces courses sont autres choses que de réels tests des capacités fondamentales de l’esprit humain serait un euphémisme. Tout au long de la pandémie, des gens ont dû endurer leurs propre « courses », leurs propres défis d’endurance face aux restrictions et à l’isolation, menant ainsi à des sacrifices et des épreuves bien moins familières.

Une bonne comparaison pourrait se faire entre la pandémie et le monde de l’ultra-trail. Dans ce genre de circuits, le corps et l’esprit deviennent de véritables champs de batailles, alors qu’on passe chaque mile monotone seul dans les environnements les plus sauvages. On n’y retrouve pas ces foules denses encourageant les coureurs aux moments clés du trajet, aucun collégien donnant des bières entre les stations d’eau, et certainement pas de voiture qui vient vous ramasser lorsque vous êtes en difficultés. Il n’y a que la terre, les roches et le bruit rythmé des pas se dirigeant lentement mais surement vers le fil d’arrivée.
pour beaucoup d’entre nous, les journées cette dernière année ont passées comme ces miles, physiquement isolés de nos proches, fixant le même pan de mur jour après jour, espérant un jour arriver vers une fin quelconque à cette situation
Vers la fin de l’été 2015, j’ai pris la décision qu’une longue course en sentier pourrait être plaisante, et j’ai participé à mon premier marathon de trail running. Le terme « marathon » y était utilisé de façon un peu libre, et dans la description de l’événement, on reconnaissait d’emblée que « le marathon est toujours plus qu’un marathon, et le millage exact n’est jamais vraiment partagé avec les coureurs… laissez-nous savoir ce que vous avez à la fin du parcours! » Les distances étaient estimées entre 27 et 30 miles, tant qu’on ne se perdait pas.

En préparation de la course, ma sortie d’entrainement la plus longue était d’un 2h un peu douteux. Mon plan de nutrition s’est limité à quelques gels, et ce que je retrouverais dans les stations de ravitaillement. Je ne suis même pas certain que j’avais mis plus de 20 miles dans les chaussures que j’allais utiliser lors de la course. Bref, pour faire histoire courte, j’étais sous-entraîné, mal préparé, et, sans aucun doute, je n’avais aucune idée des défis et de la souffrance qui m’attendaient. Mais l’ignorance et ce sentiment d’invincibilité propre à la jeunesse m’ont permis de garder le moral.
La rapide dégradation de la situation associée à la COVID et le sentiment de dépourvu qui nous a frappé à cet instant m’a un peu rappelé mon expérience d’être arrivé mal préparé à ce marathon de trail.
en tant que communauté, nous n’étions que peu ou pas entrainés. nous sommes passés cette ligne de départ sans réellement savoir ce qui nous attendait.
Plusieurs croyaient que tout ça passerait rapidement, et que nous serions rapidement libres de nous déplacer sous peu. Mais plus le temps passait, plus on se rendait collectivement compte de ce dans quoi nous étions embarqués. La ligne d’arrivée était distante, voir inconnue.

Sur la ligne de départ de ce marathon, j’ai l’habituelle agitation d’avant course. Dès que le coup de départ est donné, je suis parti fort, confiant, et naïf. La première demi-heure est passée à maintenir la cadence avec l’avant du peloton, l’adrénaline et les endorphines aidaient à combattre la douleur qui me prenait au corps. Les minutes passaient, et éventuellement les heures, sous la cadence des pas. Mais après trois heures, les choses ont commencé à changer.

La cadence rapide et confiante devenait un jogging trainant, dont le pas s’alourdissait constamment. Ce qu’il me restait d’énergie était de plus en plus utilisé pour m’assurer que chaque pas m’amenait vers l’avant et le fil d’arrivée. Arrivé à une station de ravitaillement, c’est la consternation quand les bénévoles m’ont dit que nous n’en étions qu’au vingt-deuxième mile. Ma Timex blanche n’avait pas de GPS. Après 4h de course exténuante, j’avais l’impression qu’il ne me restait que quelques miles. La réalité qu’il m’en restait peut-être encore 7 était dévastatrice.
c’est cette partie de la course qui a toujours été son aspect le plus éprouvant. définitivement passé la mi-chemin, mais pas encore sur les derniers miles, l’excitation du départ s’était estompée depuis longtemps, et c’était le moment auquel on se rendait compte si la cadence adoptée était la bonne, ou pas.
Maintenant que les vaccins sont de plus en plus administrés, on se sent un peu dans cette situation face à la COVID. Ce n’est certes pas encore la fin, mais le fil d’arrivée est plus près que le départ. On réalise si on est parti trop fort, et si on a encore l’énergie de continuer. Est-ce qu’on a encore ce qu’il faut pour continuer de porter des masques en public, pour maintenir une distanciation sociale et pour mettre la sécurité des autres en priorité, avant même notre propre confort?

Heureusement, les derniers miles de ma course ne se sont pas déroulés dans la solitude, et ça a vraiment fait toute la différence. Les rencontres qu’on fait sur les sentiers suivent généralement une structure similaire – la sympathie est généralement l’approche favorisée, suivie par l’amitié fondée sur la douleur causée par l’acide lactique. L’amour partagé par l’effort en commun, parfois la douleur, c’est ce qui fait en sorte que les communautés développées par la course deviennent si fortes. Sans compagnon sur ces derniers miles, je ne sais pas si j’aurais terminé la course. Alors, en ces temps de pandémie, profitez-en pour texter vos amis, appeler votre famille sur FaceTime, et souhaiter bonne fête à vos amis. Laissez la déconnexion pour quand le monde rouvrira, et que vous aurez passé les deux dernières soirées à fermer les bars avant d’aller établir un nouveau record personnel sur le 5k un dimanche.

Alors que mon partenaire de souffrance et moi descendions de ce que nous espérions être le dernier sommet, et que nous sommes sorti de la dense végétation en marchant, un bénévole était en vue. Debout, au milieu d’un chemin de terre poussiéreux, elle nous a informé d’un cri « Dernier mile! Beau travail! » D’un esprit compétitif, je me suis retourné vers mon compagnon pour lui dire « on y va? » Invitation qu’il a poliment déclinée, ne partageant clairement pas mon masochisme, je l’ai laissé pour clore ce dernier mile en joggant, seul.

C’était le mile le plus difficile que j’ai couru, et définitivement l’un des plus lents. Mon focus était éphémère alors que je m’approchais à quelques centaines de mètres de la ligne d’arrivée. Je ne me rappelle même pas d’avoir passé les piquets plus ou moins évidents faisant office de seuil entre souffrance et récupération. Quand ma vision est redevenue normale, j’ai pu voir le visage de ceux avec qui j’avais échangé quelques plaisanteries anxieuses avant la course. Iels étaient tous plutôt détendus et relax, en apparence. Leurs visages, marqués de ces trainées de sel, arboraient de larges sourires alimentés aux endorphines. Le millage final était autour de 29 miles et 2900 pieds de dénivelé positif. Je n’étais plus que l’ombre de ce que j’étais cinq heures auparavant. Ce sentiment de force et de puissance dans mes jambes était remplacé par la sensation que je tenais sur des échasses en beurre d’arachides. Ramassant un peu de nourriture et de liquides, je me suis dirigé d’un pas lourd vers un espace à l’ombre. Sans la force ou l’endurance musculaire pour m’asseoir, je me suis laissé tomber au sol.

En adoptant ce même esprit, je vais continuer d’endurer et d’affronter les défis pour assurer la sécurité de ma communauté.
bien que la fin soit incertaine, je sais que nous sommes plus près de celle-ci que du fil de départ, et je connais ce sentiment, j’ai déjà été là.
à propos de l'auteur.e
joey kile
joey kile est un athlète d'endurance, un passionné de la communauté et un créatif. suivez son aventure sur instagram @joey.kile.
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