mots: simon freeman & liam mcintyre
images: liam mcintyre
généreusement fourni par: like the wind magazine

L’histoire récente aura démontré que, plus souvent qu’autrement, une perte pour le football [ndlr : soccer] aura été un gain pour la course à pied.

Sir Mo Farah était tellement obsédé par le football que pendant sa jeunesse, dans le nord de Londres, ses professeurs de sports au lycée lui « achetaient » du temps d’entrainement ou de course sur piste avec la promesse de plus de temps au ballon.

Lors de son enfance en Jamaïque, Usain Bolt était aussi un grand amateur de football (bien que le cricket ait été son premier amour, mais ça, c’est une autre histoire). Bolt a même essayé de se faire une carrière de footballeur professionnel après avoir pris sa retraite du sprint.

Sans oublier la coureuse en sentier norvégienne Yngvild Kaspersen qui relate qu’enfant, son attention était sur le football bien plus que sur la course, et c’était bien avant que la course en montagne n’apparaisse dans sa vie.

J’ai d’ailleurs découvert, il y a quelques temps, qu’un coureur avec qui je me suis entrainé pendant quelques années a aussi eu une carrière comme footballeur professionnel. Ayant grandi dans le nord du Pays de Galles, le football a toujours occupé une place centrale dans la vie de Liam McIntyre. C’est peut-être sa grande qualité (ou son grave défaut!) de devenir obsédé avec ce qui l’occupe qui l’a propulsé aux sommets des mondes du football, de la musique et – bien sur – de la course à pied. Mais je m’avance un peu trop.

Liam est né à Halkyn, dans le Flintshire, d’un père irlandais et d’une mère galloise. Il est l’un de leurs quatre fils. Une recherche en ligne rapide nous permet de remarquer qu’Halkyn n’offre vraiment rien de remarquable. Autre que d’être l’endroit où est né Dan Jones, qui a traduit The Book of Mormon en gallois, le village ne semble rien avoir d’autre de marquant. Sauf si on en discute avec les locaux qui vous vanteront l’aspect pittoresque de leur village. La montagne de Halkyn, en particulier, attire des légions de marcheurs et de randonneurs qui viennent profiter des panoramas.

Mais, fait important dans cette histoire, juste hors des limites du village se trouvait toute une pépinière à footballeurs de talent. À 14 miles, on retrouve Saint-Asaph, lieu de naissance de Ian Rush, joueur de l’équipe internationale galloise, et meilleur pointeur de Liverpool.

À neuf miles de Halkyn, on retrouve le village de Mancot, où Gary Speed (ancien joueur et manager de l’équipe galloise) et Kevin Ratcliffe (qui a joué 359 parties dans l’uniforme d’Everton) sont nés. Et 15 miles à l’est, un peu passé la frontière avec l’Angleterre, on retrouve Chester, lieu de naissance de l’as anglais Michael Owen.

« Michael et moi nous sommes rencontrés quand nous avions environ neuf ans », me dit Liam. « Nous avons joué sur les mêmes équipes, autant que l’un contre l’autre. Nous sommes définitivement contemporains. »

Dans son livre Bounce, l’ancien joueur international de ping-pong devenu journaliste, Matthew Syed, écrit à propos de l’importance d’avoir accès à des installations sportives tout autant qu’à des formes d’inspiration. Dans son cas, tout ça a pris la forme d’un groupe de jeunes intéressés par le ping-pong, d’un professeur qui voulait encourager leur passion pour le sport et d’installations auxquelles ils avaient accès 24/7. Pour Liam, les ingrédients de son succès ont été ses deux frères ainés, tous deux des footballeurs talentueux et dédiés (et son frère cadet qui est devenu joueur de rugby de premier plan – c’est ce genre de famille), des légendes locales comme Rush et Ratcliffe et ses contemporains, comme Owen.

Liam a eu l’opportunité de jouer pour l’équipe jeunesse du Newcastle United : la première étape vers une carrière professionnelle. Ses yeux brillaient lorsqu’il parlait de son expérience d’entrainement avec des joueurs de renom tels que Peter Beardsley, Faustino Asprilla et David Ginola.

Mais, les espoirs de Liam pour une carrière professionnelle se sont éteints quand – alors qu’il n’était âgé que de 17 ans – il est libéré par Newcastle. Même maintenant, des décennies plus tard, il est évident qu’il a été profondément blessé par ce revers. En fait, l’un des aspects de cette histoire – d’être jugé par les autres – aura été l’un des éléments centraux menant à son amour pour la course.

Suite à son départ de l’équipe de Newcastle, Liam s’est vu offert des contrats par d’autres équipes. Mais, à ce moment, il se sentait épuisé, et inquiet pour son avenir. Il est alors retourné à la maison, au nord du Pays de Galles, pour terminer sa formation au lycée.

« Je jouais encore un petit peu au football. J’ai joué pour la Holywell Town dans la ligue galloise. Je n’avais que 17 ou 18 ans, et je jouais contre des adultes, » explique Liam. « Mais je m’adonnais aussi à ma passion pour la musique tout en faisant mes examens du A-Level. Peut-être que c’était ça le problème à Newcastle : je n’étais pas dédié à 100% au sport. J’avais toujours la musique à côté, par exemple. Les autres joueurs trouvaient étrange que je joue du piano et de la guitare. »

« Je crois qu’au moment auquel j’ai quitté Newcastle, j’ai regretté de ne pas avoir été aussi dévoué que les autres. Et là, Michael Owen est entré en scène. Ce n’a pas été un moment facile pour moi. »

Son sentiment d’avoir perdu au change est palpable. Mais l’expérience semble pourtant être la flamme qui l’a propulsé pour la suite.

Liam est allé à l’université à Cardiff. L’université y était reconnue pour être plutôt sportive, alors il a continué à y jouer au foot, tout en terminant ses études en sciences. C’est aussi là qu’il a pu faire ses premiers pas sur le chemin de sa deuxième carrière, cette fois dans le monde musical – un autre exemple qui démontre bien comment les opinions des autres peuvent faire dérailler le travail acharné et le talent.

Le Rock’n’Roll est reconnu pour ses excès. Le cliché veut nous faire croire que peu de musiciens prennent soin de leur santé (on lève nos chapeaux à Flea des Red Hot Chili Peppers pour avoir contré la tendance, soit dit en passant). Au milieu de la vingtaine, Liam est déménagé à Londres avec son groupe, et s’est lancé corps et âmes dans les longues journées de travail, et les concerts et pratiques les soirs et weekends.

« Mon mode de vie n’était vraiment pas sain, » se rappelle-t-il. « Et ça a éventuellement causé des problèmes. Vers la fin de la vingtaine, je luttais contre des troubles d’anxiété et de dépression – même si je ne le réalisais pas vraiment à l’époque – et le résultat a été mon départ du groupe. J’ai quitté Londres. Avec un peu de recul, je vois maintenant que tout au long de ma vingtaine, je grimpais sur les murs, j’étais vraiment agité, mais tourmenté. »

Vers 2010, Liam avait commencé à travailler comme directeur musical pour des tournées de concerts. Il avait rencontré sa femme, Jen, et était de retour à Londres. Mais les habitudes héritées du temps avec son groupe ont été difficiles à perdre.

« Après que Jen et moi nous sommes mariés, j’ai décidé de me trouver un ‘vrai’ travail. Nous voulions avoir notre propre chez-nous, mais pour ça, nous avions besoin d’une meilleure stabilité financière. Mais à chaque fois, l’anxiété et la dépression revenaient. Je buvais beaucoup plus que j’aurais dû, et je fumais. Je perdais confiance. J’avais ces horribles attaques de panique. »

Liam décrit comment, certains jours, le simple fait de prendre le train pour se rendre au boulot lui demandait des efforts surhumains. Et bien entendu, pendant ce temps, tout exercice avait été évincé de son mode de vie.

Liam dit que sa femme a été du plus grand support pendant cette période difficile. Mais il reconnaît aussi qu’il refusait de parler à quiconque des maux qui l’affligeaient. Même ses frères et ses parents n’étaient pas conscient de ses difficultés.

« Et là, soudainement, une lueur d’espoir, » dit-il. « Tout a commencé lorsque je me suis ouvert à ma famille sur mes difficultés. Ça a été la première étape de mon rétablissement, bien que le processus ait été lent. »

« Ensuite, un peu par coïncidence, en 2016, un ami d’école, Mark Parry, m’a contacté pour me dire qu’il venait courir le marathon de Londres pour supporter une association caritative galloise dédiée à lutter contre le cancer. Il demandait s’il pouvait rester chez moi le temps de la course. »

« Après trois ans de sérieuse dépression, d’accompagner mon ami, et de le voir courir le marathon, ça a rallumé quelque chose en moi. Je pouvais soudainement voir une voie qui s’ouvrait devait moi. »

L’année suivante, l’ami de Liam a décidé de ne pas courir le marathon à nouveau. Mais il a été le point de contact entre Liam et l’association. Liam a alors commencé amasser les £2,500 nécessaires, et à s’entrainer.

« Je ne savais pas trop ce que je faisais. J’ai lu quelque part que je devais faire une longue sortie de course, alors je suis parti de chez moi, et j’ai couru jusque chez un ami. Nous en avons profité pour aller boire une pinte dans un pub, et je suis retourné à la maison à la course. Le reste du temps, je me suis entrainé comme un footballeur – soit, à peine sorti, à littéralement courir aussi vite que je le pouvais. »

C’est à peu près à ce moment que j’ai rencontré Liam.

Ma pratique de la course était en perte de vitesse. De semaines de neuf sorties de course, cumulant plus de 100 miles d’entrainement, je me suis retrouvé presque du jour au lendemain complètement débordé, à lancer deux entreprises. Dans l’optique un peu égoïste de pouvoir sortir courir, j’ai commencé à organiser des sorties de groupe chaque mercredi matin, aller-retour à partir de mon bureau jusqu’à un parc pas trop loin.

La femme de Liam avait entendu parler du groupe et est passée au bureau pour inscrire son conjoint. J’étais vraiment heureux d’avoir un nouveau compagnon de course. Je n’avais aucune idée ce qui allait suivre.

Six mois après que Liam ait commencé à courir avec nous, il a complété le marathon de Londres en 5h36m. Sa famille l’a vu environ un mile avant la ligne d’arrivée, et était certaine qu’il allait s’effondrer; il était en mauvais état.

Mais Liam se rappelle que l’exaltation de la fin était extraordinaire. Mais il y avait plus. Contrairement au football ou à la musique, Liam avait trouvé une activité dans laquelle il était largement en contrôle des résultats. Il n’y avait pas de coach qui prenait des décisions sur qui restait et qui était libéré. Il n’y avait pas de critiques musicaux qui décidaient quels groupes allaient faire carrière, et lesquels ne le feraient pas.

« J’ai réalisé qu’avec la course, le chrono à la fin m’appartenait entièrement, » explique Liam.

Certaines graines, une fois plantées, prennent racines et commencent à pousser lentement mais surement. D’autres vont germer dans le temps de le dire. Et c’était ainsi avec l’amour de Liam pour la course. Il s’y est totalement plongé.

Peu après le marathon de Londres, Liam sentait l’anxiété et la dépression se profiler à nouveau. Jen l’a alors inscrit à de nouvelles courses. À un événement de 10km, quelques mois après le marathon, Liam terminait sur un chrono de 49 minutes. C’est environ à ce moment qu’il a décidé d’arrêter de boire et de fumer.

Comme beaucoup de coureurs qui se lancent corps et âme dans le sport, Liam avait malheureusement trop fait, trop rapidement. Une blessure lors de la seconde moitié de 2017 le force à prendre une pause temporaire. Liam s’est alors mis au vélo, tout en se mettant comme objectif le Marathon Rock’n’Roll de Liverpool en avril de l’année suivante.

Ayant atteint ses objectifs précédents avec une combinaison de l’application Strava (il n’avait pas encore de montre GPS à ce moment) et d’un plan d’entrainement McMillan qu’il avait téléchargé, Liam décide d’ajouter le transport actif à sa recette – un trajet de six miles vers le travail chaque matin, et la même chose pour revenir le soir – tout en continuant ses recherches et son apprentissage sur l’entrainement, l’équipement et la nutrition.

La progression de Liam était réellement une source de fierté pour lui et pour ceux avec qui nous courrions les mercredi matin. Vers la fin de 2018, au Chester Marathon, Liam termine avec un chrono sous la barre des 3h pour la première fois.

Ensuite, en avril 2019, il court le marathon de Manchester en 2h45m36s. En septembre de la même année, à Berlin, il termine en 2h32m47s.

« Je ne savais vraiment pas que j’avais cette détermination en moi, » dit Liam. « Cette volonté que j’ai à m’entrainer autant vient de l’effet envoutant de courser. J’apprécie vraiment d’apprendre de nouvelles choses. Et j’aime être indépendant – soit de préparer mes propres entrainements. Bien entendu, la course est passée d’un hobby à un réel mode de vie. »

« Je sais que je suis une meilleure personne à côtoyer quand je cours. Et quand j’ai un objectif. La routine et le rythme sont des éléments cruciaux pour moi. La Covid-19 a été vraiment perturbatrice dans mes habitudes. Mais je me suis raccroché à mon entrainement, et en fait, je cours plus que jamais maintenant que je travaille de la maison. »

Bien entendu, l’annulation des courses a été une source de frustration.

« Au début de l’année, j’ai pu courir la Big Half en 70 minutes. J’étais bien préparé pour le marathon sous la barre des 2h30 à Londres cette année. Mais la course a été repoussée d’avril à septembre, et ensuite, annulée. Donc mon prochain objectif sera certainement cette affaire interrompue avec Londres. Je veux courser sur le trajet des championnats et voir si je peux terminer sous cette barre des 2h30. Ensuite, je ne sais pas. J’ai 40 ans, j’aime l’idée de tenter ma chance d’avoir une place sur l’équipe des Masters. Sur l’équipe anglaise ou galloise. Quoique je me demande si ma famille me pardonnera si je course sous les couleurs anglaises… »

Ce journal existe en partie pour comprendre pourquoi nous courrons. Pour Liam, il y a tellement de raisons. Et, clairement, elles contribuent toutes à sa façon de se comprendre et de se valoriser. Alors, qu’arriverait-il s’il ne pouvait plus courir.

« Je crains de ne plus pouvoir courir pour une quelconque raison. Quand je cours, je fais le point sur ma vie – sur mon travail, mes études de droit, ma famille – avec toute mon énergie. Sans la course, je sais que l’anxiété reviendrait. Et je ne sais pas comment je pourrais remplir ce vide. C’est un souci. »

Au moins, pour l’instant, il semblerait que rien ne peut arrêter Liam McIntyre. Après un marathon pluvieux et venteux en plein confinement qui ne s’est pas déroulé comme prévu, il s’est retroussé les manches; c’était un apprentissage. Il pense même commencer à travailler avec un coach. Peu importe ce que le futur recèle pour lui, Liam aura été un réel exemple de comment le dévouement, la patience et la passion peuvent accomplir de grandes choses. Il y a un coach de football à Newcastle qui a probablement manqué sa chance de repêcher un joueur d’exception. Mais encore, comme je l’écrivais en ouverture à cet essai; une perte pour le football mais un gain pour la course.