mots: michelle kay & parkdale roadrunners
images: jason dam, justin manabat & luis briceno 

Le quartier de Parkdale à Toronto a quelque chose de spécial, et une longue histoire. Situé à l’ouest du centre-ville, le quartier a éxisté originellement comme village indépendant, avant de se transformer en banlieue richissime de villégiature pour l’élite, et d’éventuellement drastiquement devenir un quartier de la classe ouvrière. Aujourd’hui, Parkdale arbore la diversité torontoise avec ses diverses classes et cultures, ses artistes et petites entreprises. Connu comme le « Petit Tibet », Parkdale a fait l’objet d’une certaine gentrification ces dernières années, mais l’arrondissement maintien de strictes lois résidentielles, favorisant la majorité d’habitants locataires.

Le quartier est aussi le lieu de naissance du Parkdale Roadrunners (PDRR), un crew de course commencé par Mike Krupica et Steven Artemiw en 2010. Les deux amis voulaient rassembler les gens, courir et célébrer leur communauté. Et c’est depuis ce moment que le crew prend de l’expansion, en connexion avec des coureurs et d’autres crews de par le monde et en réinventant continuellement la culture de la course à pied.

Pour leur 10ième anniversaire, nous avons parlé avec quatre coureurs de PDRR à propos du quartier, et de l’évolution du monde de la course ces dix dernières années. (Les interviews ont été condensées et éditées pour en favoriser la clarté.)

Qu’est-ce qu’était la course, pour vous, il y a dix ans?

Lisa Oikawa : Il y a dix ans, la « course » en soi, comme je la connais maintenant, n’était même pas sur mon radar. La course, c’était d’utiliser le tapis roulant au gym à l’université Queens, et quand il faisait beau, d’aller jogger sur le bord du lac, à Kingston.

Kortnee Borden : Il y a dix ans, j’étais un coureur occasionnel mais j’amorçais ma transition devenant plus régulier dans mes sorties. À l’automne 2010, j’ai complété deux demi-marathons, et j’ai ensuite pris la décision de m’inscrire à un marathon entier, et de courir à l’extérieur tout l’hiver. Je n’enregistrais pas mes sorties, et ne suivais pas de plan d’entrainement.  Mes sorties étaient surtout en solo, ou avec ma femme Tereza. Le concept de courir en groupe n’avait vraiment aucun intérêt pour moi. L’idée de la compétition à l’intérieur d’un groupe, et l’absence d’un groupe auquel je pourrais vraiment m’identifier étaient les raisons pour lesquelles je résistais à me joindre à l’un d’entre eux. Mais, quand je repense à 2010, c’était vraiment un point tournant dans ma relation avec la course.

Jen Beltijar : Mon aventure avec la course à pied n’a vraiment commencé qu’à partir de 2010, quand la vie était bien plus simple. À l’époque, j’habitais Markham, et je n’étais pas vraiment active; le seul sport que j’appréciais, c’était la planche à neige. L’été, j’avais beaucoup de temps libres, ce qui m’a poussé à commencer à courir, surtout parce que tout ce dont j’avais besoin, c’était une paire de chaussures. Avec un plan d’entrainement marche/course en main, j’ai commencé l’entrainement visant le 5k. Ce n’était pas facile de courir seule et de garder la motivation. Ça m’aura pris du temps pour acquérir la confiance pour faire ma première course en 2012. Je n’oublierai d’ailleurs jamais ce trac d’avant-course, d’être avec d’autres coureurs, et de courir les rues fermées de Toronto.

Matt Geofroy : Il y a dix ans, je courrais surtout en solo en banlieues, m’entrainant pour mon premier demi-marathon. Je n’avais pas vraiment idée de ma cadence, ou des distances que je parcourais, sortant simplement courir avec mon téléphone au bras. Peu après, j’ai entendu parler de PDRR sur le compte instagram des Bridgerunners. J’ai pris l’opportunité de leur écrire, et éventuellement, j’ai pris mon courage à deux mains pour me joindre à l’une de leurs sorties. Restant en ville après le travail un mardi soir, c’est là que tout a changé pour moi. Il y avait quelque chose de vraiment bien dans l’énergie du groupe. Je suis rapidement devenu un régulier. Je restais en ville après le travail pour courir avec PDRR, ou bien je me déplaçais d’Oshawa pour l’occasion. D’autres membres du crew sont rapidement devenus des amis, et plusieurs même de la famille. Quand j’étais plus jeune, j’étais souvent l’une des seules personnes issues d’une minorité, et je n’étais donc pas toujours confortable d’être moi-même. PDRR a tout changé; et je ne savais même pas qu’il y avait un besoin de ce changement.

Inutile de le dire, cette année aura été bien différente avec les courses et les sorties de groupe annulées. Qu’est-ce qu’est la course pour vous, en ces étranges temps marqués par la COVID-19?

Geofroy : La course est tellement différente maintenant. Je cours toujours régulièrement, mais la majorité de mes kilomètres sont faits en solo. Je discute souvent de course avec des amis de PDRR, et je continue d’être inspiré par ce que je vois en ligne, mais l’énergie et l’amour des mardis soir, ça me manque.

Oikawa : Présentement, la course est ce qui me permet de rester terre à terre. Étant confinée dans mon condo, surtout quand la température était horrible, la course était toujours l’excuse pour sortir. Je n’ai pas eu l’opportunité d’aller dans un gym ou dans une séance de spinning depuis mars. Pour les six dernières années, je faisais en moyenne trois sorties de course par semaine, et quand les autres types d’entrainements étaient limités, je me résignais à des séances de course et de poids dans mon condo. Mais pour la majorité des derniers sept mois, ma partenaire de course m’a permis de me responsabiliser grâce à nos sorties de course sur l’heure du lunch, du lundi au vendredi. Elle ne me permet pas d’en manquer une seule, même si parfois, je voudrais bien.

Beltijar : Après avoir déménagé au centre-ville avec mon mari, la course est devenue une partie intégrante de notre vie. Nous avons fait plusieurs courses et nous sommes éventuellement joint à PDRR. J’ai commencé à supporter le crew avec les sorties, ma façon de donner au suivant, car je sais à quel point le support et les encouragements m’ont aidé quand j’ai commencé. Courir avec le crew m’a permis non seulement de développer ma confiance en moi et mon endurance, mais aussi et surtout de rencontrer des gens vraiment incroyables.

L’aspect social des sorties du mardi et du samedi était définitivement un point fort des temps pré-COVID. Le sentiment de communauté qui s’en est développé dépasse de loin la course. C’est la naissance de mon fils en 2019 qui l’a d’ailleurs rendu apparent. Plusieurs autres femmes de PDRR avaient des enfants. Le congé de maternité peut parfois donner l’impression d’être particulièrement solitaire, et c’est ce pourquoi je suis vraiment reconnaissante d’avoir eu un groupe de soutien dès le départ qui nous a permis de raffermir les liens entre nous, et nos enfants.

Pendant la COVID, j’ai dû réduire mes sorties de course à environ une ou deux par semaine. La situation impose des considérations supplémentaires telles que de planifier des trajets sur des rues moins achalandées. Ces jours-ci, la course n’est plus à propos de la distance ou de notre vitesse. On ne s’y adonne que pour apprécier notre capacité à courir, et pour décompresser un peu lors des moments plus stressants, comme lors du confinement. Les courses en groupe et le crew me manquent. Peu importe la nouvelle norme qui s’installera après tout ça, je sais que la course nous permettra de connecter à nouveau. J’ai hâte de pouvoir recommencer à donner des « high fives » à nouveau.

Borden : Comme bien d’autres aspects de ma vie, la course a pris un tout autre sens en cette ère de la COVID. L’an dernier, tout était planifié pour devenir plus rapide, et atteindre ce marathon sous les trois heures. Cette année, l’objectif était de repousser les distances avec une course de 100 miles cet automne, mais le COVID a bien entendu tout changé. Maintenant, mes sorties ne sont plus pour atteindre une certaine vitesse ou distance, mais bien plutôt pour maintenir ma santé mentale, pour simplement sortir dehors et (momentanément) me libérer l’esprit. Tout est redevenu comme c’était il y a dix ans, avec la majorité de mes sorties en solo. J’ai hâte à ce moment où nous pourrons à nouveau nous regrouper et courir ensemble, tout le crew. Les longues sorties du dimanche avec les amis, et les rassemblements d’après course me manquent. Tout ça m’a permis de réaliser à quel point la course était importante dans ma vie; peu importe le temps ou la distance, c’est le mouvement, le simple acte de bouger mes jambes, qui est si important pour moi.

En 10 ans, il y a eu pas mal d’événements, de courses, de partys, de « cheer squads » et plus encore. Quel est votre souvenir le plus marquant avec PDRR?

Beltijar : Mon souvenir le plus mémorable est probablement le Scotiabank Half Marathon de 2017. Tout au long de mon entrainement, les sorties de PDRR ont beaucoup ajouté à l’expérience et ont certainement aidé à bâtir cette confiance pour m’inscrire à mon premier demi-marathon. Je ne peux pas vous dire à quel point l’idée que j’allais croiser le Cheer Squad au kilomètre 19 m’a porté tout au long de la course. Le sentiment d’avoir des amis, des visages connus, là pour m’encourager à travers les confettis et les cris de joie, c’était vraiment merveilleux.

Geofroy : Sans aucun doute, mon souvenir favori est la course à relais PDRR 4 HPRR [un événement caritatif] que nous avons organisée en 2015 pour supporter la Ronald McDonald House Toronto. Ma femme et moi y sommes resté lorsque notre fille Harper est née prématurément. Ils ont pris soin de nous, et alors que nous voulions donner en retour, PDRR a porté le flambeau. Je me rappelle encore ce sentiment d’être submergé par l’amour et le support de tous ces gens qui sont venus courir et contribuer. C’était une journée vraiment magnifique, que notre famille n’oubliera pas de sitôt.

Oikawa : Il y en a tellement! L’un des plus marquants est certainement le Cheer Squad de PDRR au Scotiabank Waterfront Toronto Marathon en 2019. C’était ma première expérience, et c’était vraiment mémorable. Auparavant, je participais à la course, et d’encourager les autres, c’était une façon de redonner à la communauté de course à pied. De voir les gens pour la première fois et pour un court instant, alors qu’ils passent en courant, mais de quand même les encourager alors qu’ils en ont le plus besoin, c’est un sentiment que je n’oublierai jamais. Ça m’a rappellé la première fois que j’ai vu le célèbre Cheer Squad au Toronto Nike Women’s 15k et au Marathon de Chicago en 2015. Ce sont ces deux événements qui m’ont vraiment inspiré à me joindre à PDRR.

Borden : Il y a vraiment trop de bons souvenirs, mais parmi les quelques-uns qui se démarquent, on retrouve notamment la Longest Day Ekiden Relay de 2014, organisée par Black Lungs. J’étais relativement nouveau dans le crew, mais on m’a quand même demandé si je voulais courir. Il y avait aussi le célèbre weekend Bridge the Gap [qui était organisé en marge du Toronto Waterfront Marathon de 2015, lors duquel PDRR était le crew hôte de coureurs de 30 autres crews venant de 15 villes dans 8 pays différents.] Le party était vraiment à un autre niveau, et le Cheer Squad, phénoménal. Selon moi, c’est ce moment spécifique qui a vraiment ancré la « crew culture » à Toronto.

Ma participation au Speed Project [une course à relais de 550km, sans arrêt, entre Los Angeles et Las Vegas] en 2015 est certes un autre souvenir inoubliable. Les liens tissés lors de cette aventure, dans notre VR, sur les 48 heures de la course à courir à travers le désert, ne seront jamais brisés. C’est à ce moment que de bons amis avec qui je courrais occasionnellement sont devenus de la famille. Ça m’a aussi ouvert les yeux sur tout ce qui pouvait être fait hors des contextes formels des courses officielles, et d’à quel point ce format, et la quête d’un temps personnel peut être limitatif.

Les Parkdale Proms [des fêtes annuelles pour célébrer la fin de la saison des courses] étaient toujours des plus mémorables. De voir tout le monde dans le crew s’habiller en circonstances (sans vêtements sportifs!), et enflammer le plancher de danse, c’est quelque chose à se rappeler. Il y avait aussi les séances du Friday Night Track (sur la piste de l’école secondaire, dite « Le Track »). L’atmosphère était toujours bonne. Les entrainements étaient difficiles mais le yoga et les bières qui suivaient en valaient la peine.

Le Pescado de Moctezuma Relay (une course à relais de 350k), au Mexique, est aussi un souvenir vraiment marquant. C’était notre dernière expérience (hors de Toronto, avant le COVID) avant que tout n’aille plus. Vingt-quatre heures dans un van avec mes amis les plus chers, à voyager à travers l’un de mes pays favoris en course à relais. Ça ne fait que sept mois, et je ressens déjà toute la nostalgie pour ces moments.

Avez-vous un endroit préféré à Parkdale?

Geofroy : Le banc devant le Mascot [qui était l’un des points de rencontre pour PDRR] ou la ruelle derrière le Community 54 (aussi un ancien point de rencontre, qui malheureusement n’existe plus). Aussi, l’ancien appartement de [notre amie] Jenny au coin des rues Dunn et Queen, ou l’appartement de notre co-fondateur Mike Krupica. Ce sont deux personnes que j’apprécie vraiment, chez qui ma famille et moi avons toujours été les bienvenus. 

Borden : Le Loga’s Corner, ou les brunchs au Skyline Diner après les longues sorties du dimanche, le Capital Espresso, Community 54, et la cour arrière de l’ancien appartement de Jenny.

Beltijar : Quitte à sonner comme un rat de bibliothèque, je dirais la bibliothèque de Parkdale. J’y vais fréquemment pour me procurer de la lecture, mais c’est aussi un espace super pour la communauté, où on peut se rencontrer en sécurité, et avoir accès à des ressources clés comme des ordinateurs.

Le Capital Espresso est aussi définitivement un endroit à visiter pour son café et ses pâtisseries. C’était un lieu de rencontre pour notre crew avant la COVID, central a tellement de souvenirs partagés inoubliables.

Oikawa : Le Skyline Dinner. Leur poutine déjeuner est l’un de mes mets à déjeuner favoris en ville!