mots et l’image : hilary matheson
généreusement fourni par : like the wind magazine

Lorsqu’on entend le nom d’Ellie Greenwood dans une conversation entre coureurs d’ultra-marathons, il conjure généralement une série d’images d’une britannique rapide et toujours joviale déferlant les routes et sentiers avec une détermination inébranlable. Depuis ses débuts dans l’ultra en 2008, Greenwood a décroché le titre de championne du monde sur 100km deux fois tout en détenant plusieurs records de parcours, incluant sur la Western States 100 (course qu’elle a par ailleurs gagnée à deux reprises). Par contre, parmi toutes ses courses et réalisations, c’est sa victoire historique pour la Grande-Bretagne à la Comrades Marathon en 2014 qui siège en favorite à son palmarès.

Notant d’abord que la course légendaire de 56 miles est courue depuis plus de 90 ans, Greenwood confiait que la riche histoire de la Comrades, et l’impressionnant déploiement de plus de 16,000 coureurs qu’elle représente chaque année créé un environnement compétitif parfait. « Si on veut vraiment courir avec les meilleurs parmi les meilleurs », dit-elle, « alors c’est clairement là que la compétition se trouve. »

Ayant coursé la Comrades à trois reprises durant sa carrière, Greenwood y retournait en 2016 pour se frotter à « sa course favorite » encore une fois. Mais, alors qu’elle se sentait particulièrement en force suite à son dernier bloc d’entrainement en prévision de la course, une blessure se profile. Elle décide, de toute façon, de prendre l’avion et de se rendre en Afrique du sud, espérant que des efforts de dernière minute en physiothérapie et réhabilitation porteraient fruits, lui permettant de courser. Mais c’est sans succès. Greenwood dû se résoudre à observer la course sans y participer, retournant par la suite à Vancouver, sa ville adoptive, avec beaucoup de questions, mais peu de réponses.

Greenwood vient de passer les 17 mois suivant sa déception à la Comrades à se battre avec une blessure élusive mais bien présente qui l’avait forcée à déclarer forfait. Tout coureur vous dira que les blessures, c’est vraiment emmerdant – et ça c’est quand nous avons une idée du diagnostic et du pronostic. Mais qu’en est-il lorsqu’on ne sait même pas ce qu’il s’est vraiment passé? Et quand même les efforts les plus diligents en physiothérapie, et les visites constantes chez des spécialistes en médecine sportive ne rapportent que peu – ou pas – de réponses?

Pour quelqu’un comme Greenwood qui a l’habitude de se faire des semaines d’entrainement de 100 miles et plus, consécutivement et sans broncher, de voir sa progression et son entrainement en venir à un arrêt aussi brusque n’aura pas affecté que son agenda de courses. Cette saga aura laissé un immense trou dans sa vie, son horaire journalier, et sa santé mentale au jour-le-jour. Bien que l’entrainement croisé aide certainement à court terme, Greenwood a vite réalisé que « mon dévouement au vélo et à la randonnée a diminué assez rapidement parce que j’ai l’impression d’être coincée pour toujours à faire ces ‘activités de remplacement’ ». Certaines personnes semblent avoir cette capacité de faire la transition d’un sport à l’autre, qu’elles soient prises de blessures ou que leur intérêt en dicte autrement, alors que d’autres réalisent promptement que leur passion pour un sport ne fait pas d’eux des caméléons du sport. Pour Greenwood, la course était bien plus qu’un simple sport – c’est sa force vitale, et on ne s’en départi jamais sans se battre.

Comme Joni Mitchell le chantait; « You don’t know what you’ve got ‘til it’s gone. » (« On n’a pas conscience de ce qu’on a sans le perdre »). Elle avait peut-être les coureurs en tête en écrivant ces lignes, parce que dès qu’une blessure se profile, nous développons automatiquement une appréciation profonde pour notre santé et notre capacité habituelle à pouvoir lacer nos chaussures de course pour partir à l’aventure et se libérer l’esprit. La blessure aura permis à Greenwood de développer une nouvelle appréciation pour la simple faculté de courir, peu importe le rythme. « Avant cette blessure », écrit-elle ironiquement, « je me prenais la tête dès que ma cadence lors d’un entrainement de vitesse n’était pas satisfaisante, ou lorsque je manquais de dénivelé positif lors d’une sortie longue. Maintenant, j’essaie simplement d’être reconnaissante de ce que je peux faire, et pour ce que j’ai pu faire dans le passé. »

Cette simple formulation est pourtant particulièrement significative. C’est facile pour nous, coureurs, de prendre pour acquis ce que nous avons fait par le passé, comme de gagner des courses de 100 miles, ou de terminer un demi-marathon, et de le voir comme la norme de ce qui « est », et de ce que nous serons en mesure de faire dans l’avenir. Mais, comme les saisons passent, nos capacités à faire ce qui nous tient le plus à cœur sont elles aussi susceptibles de changer.

Le temps n’est pas infini, et la seule constante de son passage est le changement. Si Greenwood peut retirer quelque chose de son long combat contre son ignoble blessure, c’est que de courir des ultras est un réel privilège, et pas un droit. Lorsqu’elle lutte lors des moments difficiles dans une course, Greenwood se rappelle souvent « qu’on fait le choix d’y participer, et au final, on se donne l’opportunité de courir dans des endroits magiques et de rencontrer des gens vraiment géniaux. Et si on ne peut apprécier tout ça avec une cheville foulée au début d’une course ou lorsqu’on se met à vomir… et bien, on manque définitivement de perspective. »

Pour Greenwood, cette perspective c’est ce qu’elle a de plus cher présentement, et l’acte de simplement sortir courir – sans courser d’aucune façon – est suffisant. Elle maintient toujours ce qu’elle appelle sa « liste de ‘to-do’ à courir », qui est encore plus longue que ce qu’elle a déjà fait, mais les blessures ont cette façon de nous forcer à ralentir, et à distiller chaque chose que l’on fait à leur essence propre. Heureusement, cette personnalité combative et entêtée qui l’a porté vers tant de victoires dans des courses s’étend au reste de sa personne… l’empêchant ainsi de déclarer forfait d’une quelconque façon. Alors, pour l’instant, ce n’est que partie remise. Un pas à la fois, chaque chose en son temps, et chaque enjambée courue est en soi une victoire et un privilège qui ne peut être pris pour acquis.

Hilary Matheson est une coureuse d’ultra-marathons, et créatrice de contenu, basée à Vancouver, Colombie-Britannique. Elle adore le fromage et les longues journées à la montagne. www.thehilaryann.com