mots par: Simon Freeman et Darcy Budworth
images par: Matt Bradford et Simon Roberts
généreusement fourni par: like the wind magazine

Un pont, par définition, n’est qu’une structure ralliant deux éléments géographiques séparés par un plan d’eau, une vallée ou une route. Les ponts sont construits pour assurer le passage par-delà ces éléments qui, autrement, gêneraient les déplacements. Le pont est aussi pensé pour être franchi par en-dessous.

Les premiers ponts étaient probablement des arbres qu’on abattait intentionnellement. Et de ces humbles débuts, la construction de ces structures s’en développe tôt dans l’évolution humaine. Nous savons que nos ancêtres du néolithique construisaient des passerelles pour traverser des marécages il y a 6000 ans en Angleterre.

Il semblerait que la facilitation du passage d’un point à un autre était une obsession de nos ancêtres.

Depuis ces débuts primitifs, la construction de ponts n’a cessé d’évoluer. Dans bien des cas, des ponts sont même devenus des icônes culturelles à part entière. Demandez à quiconque de réfléchir à des ponts, et on vous proposera probablement une liste de traverses bien connues; le Tower Bridge de Londres, le Harbour Bridge de Sydney, le Golden Gate de San Fracisco, le Ponte Vecchio de Florence, le Rialto de Venise, le pont Charles de Prague, le Akashi Kaikyō au Japon. Le pont de Brooklyn, qui rejoint les rives de la East River entre Brooklyn et Manhattan à New York.

C’est ce dernier qui a inspiré une coureuse dans la création d’un phénomène mondial, et d’une vision pour connecter des coureurs partout dans le monde.

Darcy Budworth a grandi à Portland, en Oregon.

“« En quittant l’école, j’ai décidé d’aller de l’autre côté du pays, à New York, pour étudier le design d’intérieur et l’architecture à la Pratt Institute », me dit Budworth.

Après sa graduation, Budworth s’est vite retrouvée dans le monde des cabinets d’architectes new-yorkais. Elle s’est rapidement mise à travailler le genre d’heures qui mènent directement à des habitudes de consommation malsaines, une vie sociale non-existante, une santé en perdition et ultimement, au burnout.

Mais Budworth a découvert une arme secrète. La course.

C’est un ami de Portland qui était aussi à New York, travaillant pour Nike en tant que capitaine de club de course, qui s’est moqué de Budworth; « Il m’a dit que je n’étais pas une vraie coureuse – alors je lui ai dis ‘je t’emmerde’ ». C’était toute la motivation dont Budworth avait besoin pour s’y remettre.

« Je quittais le bureau à 23h » confie Budworth, « et mes collègues me disait ‘tu sais que tu peux prendre un taxi à cette heure de la nuit’. Mais je tenais à courir pour retourner à la maison. Ces déplacements étaient mes moments de calme. »

À ce moment, Budworth vivait à Brooklyn qui était, à l’époque, un quartier sympa et en devenir (plusieurs argumenteraient qu’il est maintenant bien devenu, avec le coup complet de la gentrification). Son bureau était à Manhattan. Alors elle devait nécessairement passer par le pont de Brooklyn à chaque retour à la maison.

Le pont de Brooklyn a été conçu par John Augustus Roebling. Roebling aura pris 15 ans pour convaincre la ville de New York de lui commissionner la construction du pont. Toutefois, avant même que la construction ne commence, Roebling s’est fait écraser le pied dans un accident. On doit alors lui faire une amputation des orteils, à la suite de laquelle il développe une infection de laquelle il décède en 1869.

C’est le fils de John Roebling, Washington, qui prend alors la responsabilité du pont de son père. Il est lui aussi blessé lors des premières phases de la construction, suite à quoi il se retrouve presque totalement paralysé. Washington Roebling se résout alors à la supervision de la construction à partir de la fenêtre de son appartement, qui avait une vue directe sur l’œuvre architecturale.

Le 24 mai 1883, le pont est officiellement ouvert en grande pompe. Le 21ième président des États-Unis – Chester A. Arthur – traverse alors le pont en compagnie du maire de Manhattan, Franklin Edson, pour être accueilli de l’autre côté par le maire de Brooklyn, Seth Low. Washington Roebling n’a malheureusement pas pu participer à cette cérémonie historique, se résolvant donc à un diner de célébration dans son appartement avec des amis.

Au jour de l’ouverture, plus de 150000 personnes ont marché, chevauché ou conduit les 486.3 mètres – ou 1,595 pieds et 6 pouces – qui enjambaient la East River.

Après quelques années à New York, Budworth était maintenant une coureuse aguerrie. Elle a rejoint un club – les Harriers de New York. Elle en est d’ailleurs rapidement devenue présidente. L’une de ses responsabilités était d’organiser la course de 5km du club. L’événement avait pour objectif de faire connaître le club, et de générer quelques profits.

Mais l’événement commençait à être en détresse. Budworth en dresse le portrait suivant; « Le problème c’est que nous étions en compétition avec tellement d’autres courses. Les New York Road Runners organisaient de supers événements, et plusieurs coureurs choisissaient les leurs plutôt que la course des Harriers ».

C’est à ce moment que Darcy eu l’opportunité de courir la première course à pied de Red Hook Crit. Peu après, elle participe à l’un des événements des Orchard Street Runners. Ce sont ces deux expériences qui ont alors inspiré Budworth à sortir des sentiers battus des événements de course à pied. Le style de course qu’elle venait de découvrir sortait de la monotonie des courses standards du style des New York Road Runners.

Le Midnight Half a été la dernière pièce du puzzle : « Je n’ai entendu parler de la course que quelques jours avant, et je n’ai préparé mon trajet que deux heures avant le départ. J’ai gagné le prime, et ai terminé en seconde place. » Budworth savait qu’elle devait s’en inspirer.

Une partie du crédit pour l’idée d’une série d’événements de course sur des ponts doit être donné au mari de Budworth de l’époque : « Il m’a dit ‘tu adores courir ces ponts lors de ton entrainement – tu pourrais maintenant y organiser des courses » me confie-t-elle.

Mais il y avait d’autres considérations pratiques à prendre en compte. Par respect pour Joe DiNoto des Orchard Street Runners et David Trimble des Red Hook Crit, Budworth voulait organiser une course qui serait entièrement différente. D’autant plus, elle s’est rendu compte que de courir sur un pont éliminait la majorité des risques associés à la traverse de rues et des intersections bondées de New York. Les ponts – surtout les plus longs – offraient de plus longs segments ininterrompus.

La série de courses Take The Bridge est ainsi née comme série d’événements estivaux à New York. Dès le départ, Budworth était déterminée à inclure autant d’éléments que possible de la communauté de course urbaine de New York. Elle décide donc d’impliquer un nouveau club ou crew hôte pour chaque événement. « Nous devrions tous être amis entre équipes et crew » explique Budworth « Quand j’étais avec les Harriers, j’avais des amis dans d’autres équipes, et avant chaque course j’allais discuter avec eux. Mes coéquipiers me demandaient toujours pourquoi je parlais avec des membres des autres équipes. Je pense tout simplement que nous devrions tous nous supporter. »

Récemment, la série Take The Bridge a pris la route, avec Budworth organisant des courses dans différentes villes – Portland, Boston, Austin et Chicago – et même différents continents avec une course à Londres.

Cette série permet à Budworth de réaliser sa mission de connecter les coureurs – peu importe leur club ou leur affiliation – au-delà des limites de New York. Et de céder à une certaine passion pour les ponts.

Il y a une certaine intimité entre Budworth et ces ponts qu’elle rencontre lors de ses voyages. La façon dont elle compose avec des clichés de ponts sur ses médias sociaux laisse entendre une certaine fascination qui va bien au-delà de ce que les gens pensent d’ordinaire de ces traverses. Lorsqu’on parle du futur de Take The Bridge, Budworth se penche et confie, conspiratrice; « je crois que la série pourrait se développer autour de ponts que les gens voudraient courir – imagine tous les crews et clubs du monde qui convergent vers un pont spécial pour y courser, ensemble… » laisse-t-elle entendre, d’un ton presque nostalgique.

Je demande donc à Budworth si cet amour pour les ponts vient de son passé dans le monde de l’architecture. « Tu sais quoi, peut-être » dit-elle « en fait un ami m’a récemment confié que David de Red Hook Crit et Joe de Orchard Street Runners ont tous deux de l’expérience dans ce milieu. Peut-être que d’être architecte signifie d’avoir une obsession envers les détails, donc que nous sommes très méticuleux dans l’organisation de courses? »

Ou peut-être est-ce plus simple que ça. Peut-être que Budworth aime simplement les ponts et l’opportunité unique qu’ils offrent pour courir vite.