Mots par Pierre-Alexandre Cardinal
Images par Yamajo Run Crew et Cid Merisier
Généreusement fourni par: Like the Wind magazine

Il fait 8 degrés. Au centre-ville, l’air est rempli de la douce rosée matinale. Des rayons de soleil, encore timides, commencent à percer l’horizon du petit matin, et aucun nuage pour les en empêcher. C’est un de ces matins frais, rafraichissants. Parfait pour courir. Par pour moi. Aujourd’hui, ce sera pour les autres, mes coureurs, consœurs et confrères du crew. Mais ce sera aussi pour tous les autres, tous ces étrangers qui, bien que nous étant inconnus, seront là, ce matin, et mettront un pied devant l’autre en cadence rapide.

Je lace mes chaussures, jogge sur quelques centaines de mètres pour aller au Tim Hortons du coin rejoindre les coureurs de Yamajo qui arpenteront le demi ou le marathon ce matin. La tension est palpable, l’excitation est bien là, on placote… il y a même une petite onde de stress dans l’air. Il n’est que question pour eux de (re)trouver cet état d’esprit quasi-méditatif, une certaine béatitude, voir une visualisation de la course à venir. Ils vont tous courir ce matin. Certains sur le marathon, d’autres sur le demi. Ils vont tous y laisser quelque chose, et y gagner encore plus. Mais ça, ils ne le savent pas encore.

À l’extérieur, la ligne de départ/arrivée n’est qu’à quelques centaines de mètres. Quelques exercices d’échauffement en préparation, alors que d’autres coureurs vont et viennent sur la rue devant nous. Je prends d’ailleurs certains de ces coureurs en flagrant délit de fausse-modestie d’avant course. On trouve parfois réconfort, sécurité, la paix dont on a besoin, dans ce genre d’exercice. Il faut dire qu’à tout le moins, ça gonfle l’égo! D’autres vont trouver leur répit dans le silence, baignés par les rayons dorés d’un soleil radieux et d’un air matinal frais et invitant. En leur cœur un sentiment de gratitude pour ce court instant.

Nous avons tous notre routine avant ou pendant une course. Nous avons tous ces mantras qui nous permettent de continuer. Parfois, ils ne s’expriment pas vocalement, mais par actions. D’aller à la rencontre de mes coureurs ce matin-là, de passer un court instant « ensemble » avec eux avant le départ, c’était une telle action. Pour moi, cette course ce matin-là, c’était pour le « crew love ». Et ces deux mots inestimables constituaient mon mantra du moment. C’est une ode à cette attention que nous avons l’un pour l’autre en tant que membres d’un crew. C’est un vers à cette passion pour le sport, et cette détermination d’aller de l’avant, ensemble, toujours. C’est pour ça que je suis sorti tôt ce matin là. C’est pour ça que j’ai passé toute la journée à faire des aller-retours sur le trajet de la course dans le seul et unique objectif de supporter, d’être là pour ceux qui courraient.

Seul/ensemble

Pour certains, la course est un sport solitaire. Mais peu importe la culture de course à pied de laquelle nous nous revendiquons, nous ne pouvons que reconnaître qu’à chaque sortie nous rencontrons d’autres passionnés. Le jour de la course, c’est avec des centaines, ou encore des milliers d’autres coureurs que nous partageons le bitume ou les sentiers. Par ces froides et pluvieuses matinées automnales, lors d’une sortie en tempo, nous saluons toujours quelques autres mordus. Ou c’est encore lorsque nous tendons la main à un autre coureur solitaire sur un sentier abrupte. Qu’on le veuille ou non, la course nous rassemble.

Avec le crew, nous savons très bien que la course n’est pas si solitaire. C’est quelque chose que nous faisons toujours ensemble. Quand des gens se joignent à nous, la connexion est presque ésotérique; nous connectons ensemble, avec les autres, simplement en mettant un pied devant l’autre, en cadence. Et nous connaissons bien l’effet de cette cadence, qu’elle soit pour 30 minutes, 3 heures, ou pour certains, même 30 heures. Et c’est cette compréhension, cette identification que nous avons dans le mouvement qui nous permet de croire que la course n’est pas un sport solitaire. C’est, au contraire, profondément empathique.

Notre mantra, au final, c’est que nous comprenons. Et nous voulons laisser savoir aux gens, aux autres coureurs, que nous comprenons ce qu’ils font lorsqu’ils courent un 5k, 10k, un demi ou un marathon, mais aussi et surtout, que nous les supportons sincèrement. Pourquoi? Parce que nous comprenons, tous à notre façon, le sentiment, d’être seul, d’avoir mal, d’avoir atteint le fond du baril. Et plusieurs de ces solitudes, lorsque reliées, deviennent rapidement un groupe. Et comme les solitudes sont si présentent au jour de la course, notre crew y est et il n’y a qu’une règle; on court ou on cheer. La règle n’est pas imposée, mais vient du plus sincère de notre être, de cette gratitude que nous ressentons l’un pour l’autre et de cette connexion que nous avons lors des sorties d’entrainement ou de récupération, sur la piste ou les pentes, sur les sentiers.

Tout ça, c’est notre énergie, notre collectivité le jour de la course, ce dimanche 23 septembre au centre-ville de Montréal.

Le Cheer Squad

Le cheer squad, c’est un de ces moments de jonction où une multitude semble se rejoindre dans un même espace-temp. Le crew se ramène toujours pour encourager ces milliers de coureurs qui défilent sur le pavé. Certains sont amis, d’autres amoureux, certains des rivaux, la majorité demeure d’illustres étrangers par contre. Mais nous sommes là pour les acclamer tout de même, qui qu’ils soient. Pourquoi? Très honnêtement, outre ce que discuté ci-haut, c’est peut-être un peu par égoïsme; en s’y adonnant, on se sent bien. De donner au suivant sans demander en retour, de supporter ces coureurs, peu importe leur niveau, du coureur d’élite à ceux en mode course/marche, jusqu’aux guides pour coureurs aveugles ou gens aux prises avec un handicap, ça fait toujours du bien de ne pas être indifférent aux épreuves des autres, surtout lorsque nous sommes familiers avec celles-ci. It feels good to care.

Le cheer squad au fond, c’est cette opportunité que nous avons de montrer que nous ne sommes pas indifférents. C’est cet espace où nous pouvons redonner à nos quartiers, à notre ville, à leurs habitants, à ces inconnus que nous rencontrons lors de cette célébration de la course, et ce pour un court instant avant de reprendre nos vies une fois le ruban d’arrivée passé. Le cheer squad c’est ce moment où nous décidons de reconnaître les épreuves par lesquelles nous passons tous, et de tendre la main à ces inconnus pour dire « hey, je suis là pour toi ».

Un moment clé où nous passons par-dessus nos aliénations, voyons les braises de la passion de ces coureurs, et les embrasons pour, par-delà les embuches, les pousser vers leurs objectifs. Le tout, simplement en étant là, et en encourageant, en s’époumonant pour crier par-dessus les rythmes retentissants qui sortent de nos haut-parleurs, en dansant à travers la pluie de confettis qui emplissent l’air déjà survolté.

De ne pas rester indifférent, c’est cool. Nous sommes dans une ère de querelles, d’hypocrisie, d’aliénation. La une de nos journaux n’est pas titrée par des actes de bonté, de compassion ou quelle qu’autre noblesse, mais par le défaitisme, la haine, la politicaillerie. Le cheer squad, c’est une opportunité d’en sortir, d’être plus, de s’élever au-dessus de ces maux et confusions. C’est une chance de rev up, de vivre notre passion et de ne pas demeurer indifférent en exprimant notre gratitude pour le privilège que nous avons de pouvoir courir, et d’avoir, sur le chemin, pu rencontrer des gens qui nous ont tendu la main. Et ça, c’est vraiment cool.

Le crew nous permet d’y revenir à chaque sortie. Et ce crew, ce n’est pas seulement Yamajo, dans mon cas, ou le club de votre boutique spécialisée ou votre groupe de course du bureau. Le crew, c’est tous ceux qui croient qu’il est important de ne pas rester indifférents, et d’en exprimer sa gratitude. Le cheer squad, au final, est une métaphore qui nous permet de s’exprimer ainsi au monde, et de démontrer en faits et actes la beauté de ne pas être indifférents, et la différence que cela peut faire. Comment un simple sourire et une poignée de confettis peuvent rendre une épreuve ardue ne serait-ce que légèrement plus agréable, et comment, ensemble, les effets de ces efforts sont multipliés.

Murakami disait « when you run on the earth and with earth, you can run forever », et je suis entièrement en accord. Par contre, j’ajouterais ces quelques mots… Quand vous courez ensemble, en commun et avec une communauté, vous pouvez courir pour indéfiniment. Et c’est ça l’essence du crew, et l’éthique du cheer squad.

Pierre-Alexandre Cardinal
Yamajo Run Crew, Mtl.