Mots par: Mimi Middlebrooks
Photos par: Jonas Hill

Cette histoire est celle de 5 amis qui se rejoignent pour courir un demi-marathon au centre d’un cratère volcanique, sur une petite ile reculée du Pacifique. Une histoire d’amitié, une quête d’appartenance et d’identité, mais aussi et surtout une aventure qui nous aura marquée pour le reste de nos vies.

Alors qu’il demeurait à Maui il y a de ça quelques années, Jonas rêvait d’aller courir dans le cratère. Il a couru les 11 miles de la Sliding Sands Trail par lui-même en 2018, et, depuis ce moment, entretient la vision de l’étendre à 13.1 miles, et de convaincre ses amis de se joindre à lui. C’est en novembre 2019, à Boulder, Colorado, que la réalisation de ce rêve de course à pied devient la priorité numéro un de Jonas (outre, bien sur, le mariage de deux de nos amis). Nous avons jaugé de l’intérêt (pour l’aventure et la souffrance) de quelques-uns de nos amis qui habitaient toujours l’ile par l’entremise de quelques messages textes. Quelques-uns, il fallait s’y entendre, répondent d’un « non, merci », mais quelques autres répliquent d’un assourdissant enthousiasme « Oui c’est clair, on y va ! ». C’est ainsi que nous avons assemblé notre équipe de têtes brulées; Jonas, Brandon, Will, Katie et moi-même (Un mot aussi pour Kellyn qui était enthousiaste mais devait travailler).

Une part importante de l’histoire, c’est qu’il faut comprendre comment chacun d’entre nous en est arrivé à cette sortie de course. Je vous épargnerai le roman, quitte à partager un peu du parcours de chacun ;

L’intérêt de Jonas pour la course est relativement récent, comparativement à son amour pour le plein-air. L’an dernier, il courait un marathon sans entrainement, pour au final se prouver qu’en fait, il aimait bien la course. Il a récemment commencé à s’entrainer avec des objectifs plus sérieux, comme de terminer un ultra-marathon. Cette course a été facile pour lui, mais il ne cherchait pas à établir un record personnel, ou de se prouver quoi que ce soit. Son rêve venait en fait d’un besoin et d’une envie profonde de camaraderie, et de ce sentiment d’être lié à d’autres par une expérience commune. Il était plus intéressé par la perspective d’accomplir ce défi en équipe tout en photographiant, pour avoir une histoire à raconter pour en inspirer d’autres à se dépasser de la sorte.

Brandon est mari, et, depuis cette année, père, mais il est surtout l’une des personnes les plus vivantes et énergiques que nous connaissons. Avant de recevoir nos messages textes, Brandon n’était pas un coureur. Mais ça ne l’a pas empêché de croire qu’il pouvait accomplir cette aventure. Pendant 11 semaines, il s’est entrainé pour ce demi-marathon, avec une persévérance ferme et une cadence constante. Maintenant, non seulement Brandon est mari, père et un modèle pour nous tous… mais il est aussi un coureur.

Will pose des questions. Il recherche la vérité. Il est aussi fin connaisseur de tout ce que la vie a de plus indomptable et enivrant. Will est le de gars qui va gravir une montagne en chaussures de ville si c’est tout ce qu’il a avec lui, ou qui va surfer sur un bout de carton si les vagues sont bonnes. Bref, nous n’étions pas surpris de son enthousiasme pour cette aventure spontanée qu’il a, par ailleurs, accomplie sans entrainement sérieux.

Katie est mon amie la plus proche à Boulder, et nous travaillons ensemble. Un jour, alors que nous discutions, je lui parlais du voyage à Maui au mois de janvier. Je ne la connaissais que depuis quelques semaines, mais, et je ne rigole pas, sa réponse automatique a été « est-ce que je peux venir? ». Un peu folle, je lui ai dis oui, et heureusement, nous sommes devenues de bonnes amies depuis ce moment. La façon que Katie a de croire en elle-même et en ceux qui l’entourent est contagieuse. Quand elle expérimente quelque chose, rencontre une nouvelle personne ou visite un endroit qu’elle trouve extraordinaire, elle devient comme une extraterrestre découvrant la planète pour la première fois. La moindre chose l’enthousiasme. Elle est attentionnée et drôle, en plus d’être une sérieuse athlète.

Et me voici, Mimi. Me déplacer de toutes les façons possibles dans la nature est l’une de mes plus grandes passions, bien que je ne me sois jamais considéré comme une coureuse. En déménageant au Colorado en septembre dernier, je pouvais à peine courir 2 miles. J’ai commencé à m’entrainer pour cette course en décembre dernier, et la capacité de mon corps à s’adapter aux distances m’a éblouie. Je me suis toujours vu comme mesurant plus de 6 pieds, du haut de mes 5 pieds 2, et cette aventure m’a appris que je pouvais être aussi forte que je pouvais le rêver. Ça m’a appris que je pouvais accomplir tout ce à quoi je m’accroche et que moi aussi, au final, je suis une coureuse.

Maintenant, mise en scène. Nous sommes à environ 2500 miles des côtes américaines. Journée dégagée sur Maui, alors que nous nous entassons dans une Jeep Wrangler, écoutant Funkytown de Lipps, Inc. en faisant notre chemin sur les routes sinueuses de la Haleakalā Highway. C’était la journée Martin Luther King Jr., l’entrée aux parcs nationaux était gratuite, et l’atmosphère était là pour aller affronter ce défi.

Nous avons stationné notre véhicule au bout du sentier, avant de faire de l’autostop pour gravir la route jusqu’au cratère. Un couple prend d’abord trois d’entre nous. Nous étions excité de pouvoir nous vanter un peu ce que nous nous apprêtions à accomplir, plus dans l’espoir de nous donner un peu de confiance qu’autres choses. En discutant avec nos bienfaiteurs, nous avons rapidement appris que l’homme assis côté passager venait tout juste de compléter le défi de courir un marathon complet dans chacun des 50 états américains, et Hawaii avait été sa course finale. Nous avions l’impression d’être en présence d’un dieu, et ça nous a vraiment inspiré tout en nous remplissant d’humilité. Son prochain objectif était de compléter une course de 100 miles le mois suivant, ce qui nous a donné de la perspective; ce n’était en effet que le début de notre aventure en course à pied.

Avec un léger retard attribuable aux tentatives d’autostop échouées de l’autre moitié de notre groupe, nous avons enfin pu nous mettre à courir. Sur le rebord du cratère, nous avons constaté, en contrebas, un paysage lunaire époustouflant. Après s’être regroupés, nous avons prié pour notre sécurité et pour le plaisir à venir avant de nous lancer dans la descente. Les premiers 6 miles ont été marqués de longues enjambées sur un sol de pierres volcaniques concassées, et agrémentés de conversations et de la pleine conscience du moment présent, que nous étions finalement en plein dans notre quête.

La bordure du cratère où le sentier débutait était à 10,023 pieds d’élévation. Nous avions déjà descendu environ 6000 pieds au 7ième mile, et les deux miles de la fin nous faisaient remonter à 8000 pieds. Il faisait environ 50 degrés et pas un nuage en vue. Heureusement, nos poumons ont tenu le coup de l’élévation, nous permettant de maintenir le rythme en passant les « silverswords » endémiques, et des cônes volcaniques d’un rouge profond. De courir dans cet espace, c’était comme si nous pouvions connecter avec l’aube des temps. Nous vivions par nos jeunes corps au travers de formations géologiques vieilles de millions d’années. Cette expérience nous a permis de réaliser notre brève existence, comparée à la chronologie de notre planète, tout en étant reconnaissant du privilège que nous avons de pouvoir courir en ces lieux.

Les miles 8 et 10 ont été parsemés de sautillages sur des rochers volcaniques tranchants et instables, mettant à l’épreuve notre équilibre. Le sentier aura eu raison de la cheville de Katie, foulée sur la fin de ce segment de cailloux. Une bernache s’est approchée d’elle alors qu’elle s’assoyait sur le côté du sentier, luttant contre l’impression d’échec qui l’assaillait. Dans l’idée d’un support comique au cœur du désespoir, elle regarde l’oiseau et lui demande « c’est toi, Dieu? ». Quelques moments plus tard, un étranger s’approche pour nous offrir une manche de compression pour supporter sa cheville. Katie pleurait, refusant de croire en la magie du moment. L’ile nous est venue en aide, et nous nous sentions prêts et débordants d’énergie pour terminer en force cette ce trajet. Rassasiés de quelques bonbons énergétiques, nous avons continué vers la montée qui nous attendait pour terminer notre périple.

La montée du sentier en lacets a plus ressemblée à une marche/jog rapide qu’à une course en tant que telle, mais nous avons persévéré tout au long de la montée de 2000 pieds. Chaque tournant nous valait un coup d’oeil toujours plus élevé sur le sentier que nous venions de traverser dans le cratère en contrebas. Un arc-en-ciel perçant le brouillard nous a récompensé alors que nous complétions le dernier mile. Nous avons passé du sentier au stationnement avec un sentiment d’euphorie et d’accomplissement partagé inouï. C’était incroyable; c’est vraiment de s’être dépassé en se supportant entre nous tout au long de l’aventure qui nous a permis de vivre ce moment de victoire.

Cette expérience aura été bien plus de que de courir un demi-marathon. Nous cherchions tous une sorte de croissance personnelle par cet accomplissement. Jonas voulait raconter une histoire, et faire partie d’une communauté aux aspirations semblables. Brandon voulait devenir plus fort, et être un père plus fort pour sa fille. Will cherchait une expérience de transition vers la vie qu’il veut mener. Katie voulait mettre à l’épreuve son estime personnelle, et ressentir sa propre force autant physique que mentale et spirituelle. Et pour moi, c’était l’occasion d’une quête d’appartenance au cœur de mon être propre.

Je suis vraiment reconnaissante envers les premiers peuples de Hawaii qui nous ont accordé l’accès à ce territoire sacré. Je suis aussi reconnaissante envers le Service des parcs nationaux qui préserve et défend cet espace public. Je suis reconnaissante envers mes amis qui m’accompagnent lors de ces quêtes de relations authentiques et de réalisation. Je suis reconnaissante d’être en capacité d’avoir le privilège de pouvoir courir.

Il suffit d’un rêve, et avec ce rêve, tout le monde peut se mettre à courir.