Mot and images par: Stephen Kersh

À travers le flot ininterrompu de tatouages évoquant la course, lors d’encore une autre autre séance d’entrainement au marathon sillonnant les bordures de la Lake Mary Road à Flagstaff, Arizona, une feuille d’érable rouge, flamboyante, marquait son passage perpétuel et répété à la cuisse de Rory Linkletter. À répétition, pas après pas, ses jambes, fortes d’un puissant élan dirigé vers l’avant, toujours, le portent vers le prochain intervalle, groupé avec ses coéquipiers. Synchronisés, ils dévorent les distances sur le pavé, partageant d’un souffle leurs temps sur le marathon, 2 :09 à 2 :12, le jeune canadien est au bon endroit, en plein où il devait être.

Natif de Calgary, en Alberta, Rory s’est joint aux rangs du circuit professionnel de course plus tôt cet été, suite à un passage distingué à la Brigham Youth University. Il s’y était démarqué à trois reprises sur l’équipe NCAA All-American en courte distance sur piste, et à trois reprises sur la NCAA All-American en course de cross-country. Linkletter a terminé sa carrière collégiale avec des records personnels impressionnants de 13:36.41 sur le 5000 mètres et de 28:12.42 au 10,000 mètres. C’est ce qui le mène directement sur le chemin de Flagstaff, Arizona, pour se joindre à l’équipe HOKA ONE ONE Northern Arizona Elite.

En temps normal, un coureur aspirant au circuit d’élite va d’abord se faire les dents sur les plus petites distances avant de se lancer sur la distance du marathon. La longue distance est réservée pour les plans à plus long terme, quelque part entre les séances d’intervalles rapides, et les occasionnelles incursions sur le demi marathon. Mais Linkletter est en mission; il a peu de temps pour se préparer avant de prendre le départ du Waterfront Marathon Banque Scotia 2019 de Toronto, le 20 octobre prochain.

« Ça a été un saut rapide au marathon, mais plutôt calculé, » confie Linkletter. « J’ai le désir le plus profond de performer sur le marathon, et le sentiment que ce sera un point culminant pour moi. J’ai spécifiquement opté pour celui-ci, à l’automne, en vue de l’année Olympique qui se profile ensuite. »

Rory sait depuis un certain temps déjà qu’il voulait se mesurer à la distance du marathon – le défi, c’était de trouver un coach qui le supporterait dans sa décision de s’y tremper aussi tôt dans sa carrière. C’est Ben Rosario, coach de la NAZ Elite, qui l’encourage à se poser le défi du Waterfront de Toronto dès cette année. Rosario y voyait l’opportunité pour le jeune coureur d’avoir un avant gout de l’épreuve, et de le mettre sur la voie du succès lorsqu’il atteindra le haut zénith de sa carrière sur cette distance.

Sans oublier, d’ailleurs, que Toronto pourrait permettre à Linkletter de décrocher une qualification sur la délégation canadienne aux Olympiques de 2020. « Les Olympiques, c’est un objectif personnel, et suite au printemps dernier, j’ai réalisé que ce marathon, c’était ma chance, » dit Linkletter. « Je devais m’y lancer cet automne. »

Ce ne serait toutefois pas la première fois que le jeune de 23 ans représenterait le Canada, bien que la visibilité et les hommages de Tokyo en serraient d’autant plus grands. Il a pu arborer la feuille d’érable écarlate lors de multiples mondiaux de course de cross-country, et, plus récemment, aux Jeux Panaméricains, où il décroche une sixième place sur le 10,000 mètres. «  J’ai rapidement été pris du rêve Olympique, » affirme Linkletter. « Ça m’est venu en 2016, lors de mes premiers championnats de la NCAA sur le 5000 mètres, alors que j’avais 19 ans. Je me doutais bien que je me dirigeais vers les mondiaux, mais aussi, que ça prendrait du temps. »

Alors que nous descendions une route de campagne bordée de pinèdes, à Flagstaff, Linkletter est clair sur le fait qu’il n’y avait aucune chance que le saut au marathon ne se serait fait ailleurs qu’à Toronto.

« J’ai toujours su que ça devait être au Canada, » confirme Linkletter. « J’ai toujours cru que de courir Toronto, ce serait spécial, le championnat, la plus grosse course en son genre au Canada, et ma famille y demeure. » La conviction du ton, de ses mots, laisse entendre qu’il n’y avait même pas d’autres options à considérer. On ne peut refaire son premier marathon, aucun marathon en fait, mais Linkletter est confiant d’une chose; celui-là, son premier, se fera selon ses termes.

« De courir Toronto, ça signifie beaucoup pour moi. Ma mère y est née. Mes grands-parents s’y sont rencontrés et y ont grandi, » confie Rory. « Mon grand-père est décédé il y a un peu plus de deux ans, et j’ai l’impression que Toronto, c’est une partie de lui. La ville me rapporte toujours à de bons souvenirs. »

Quant on lui demande son objectif, Linkletter est sans équivoque; il veut courir. Vite. Avec une feuille de route comme la sienne, il faut s’y attendre. Toutefois, le marathon est une distance ingrate, et plusieurs qui s’y sont aventurés pour la première fois s’y sont cassés. Si ce n’est autre chose, la distance demande le respect.

« Je suis chaud à l’idée du défi, de la distance, » dit le jeune coureur. « L’épreuve ne sera certainement pas facile, et autant mon corps que mon esprit chercheront à m’en dissuader. Je mentirais si je disais que je ne suis pas terrorisé par le fameux « mur » qui arrive tôt ou tard sur la distance. »

Par contre, le chemin entre le coup d’envoi et le « mur », parsemé d’embuches, est aussi rempli d’opportunités. Courser donne à l’athlète l’opportunité d’être toujours quelque chose de plus, d’être audacieux. Quand Rory Linkletter prendra le départ de Toronto, c’est 42 kilomètres d’opportunités qu’il aura devant lui, le menant directement à celui qu’il rêve de devenir.